De l'art culinaire en Lyonnais-Dauphiné

I / Prélude à la gastronomie en Lyonnais-Dauphiné :

Maître Chiquart, issu et vivant en notre duché le Lyonnais-Dauphiné, est un cuisinier hors pair dont on ne se lasse pas de contempler les œuvres qu’il a dicté, comme en 1420 à Annecy son fameux « Du fait de cuysine » qui constitue un ouvrage majeur pour qui se prétend pour le moins maistre cuisinier. Ses 78 recettes authentiques, présentées étonnamment selon les jours gras et les jours maigres contrairement aux autres ouvrages du genre, sont toutes inspirées par le goût le meilleur et ne manqueraient d’avoir leur place parmi ce document.

Notre duché est un de ceux dans lequel l’art culinaire à atteint l’excellence, et dont le Roy n’hésite pas à importer les meilleurs spécialités pour les présenter à sa table. Parmi celles-ci nous retrouvons par exemple la tuile d’écrevisse (cf. recettes), la saulcisse en potage, mais aussi les vins les plus spiritueux et les fromages de chèvre les meilleurs.


II / Du banquet ordinaire au repas de feste :

En Lyonnais-Dauphiné, l’art de la table et du festival culinaire représente toute une culture populaire et monastique dont le dur labeur présente ses fruits sous diverses formes. Un banquet à notre époque se décompose souvent en moult plats raffinés suivants différents services dont voici le déroulement courant.

-1e service (coteau du lyonnais, beaujolais, saucisse en potage, poires, olives).
-2e service (godiveaux, pormoniers, diots, cervelas et saucisson, graton, châtaigne).
-3e service, entremets (blanc manger, tourtes, nourritures déguisées, carpe de la Dombe en 3 manières et couleurs, coq heaumé, chevreau, crozets, taillerins, polenta, truffe, tuile d’écrevisse, omble chevalier ensaucé, ravioles).
-Desserte (dariole, tarte ou tourte de fruits, noix, poires, cervelle da canut, bleu de Gex, abondance de l’abbaye, vachelin, saint-marcellin, saint-félicien).
-Issue de table (hypocras, gaufres, massepain, nougat d’outre la mer, pognes, bugnes, suisse valencien).
-Boute-hors (vin spiritueux et épices).

De ce fait pour un artisan ayant économisé sur les jours gras un banquet sera tenu selon quatre ou cinq service, en omettant le 3ème ainsi que le boute-hors dont les produits sont des plus raffinés. Par exemple :

-1e service : poires apéritives, saucisse en potage, accompagnées par un coteau du lyonnais de provenance méconnue.
-2e service : viandes (chevreau rosti, godiveaux, pormoniers et autre nourriture cuite au saindoux et à la graisse), châtaigne de complaisance.
-Desserte : cervelle de canut épicée, tourte aux fruits, noix, poires cuites.
-Issue de table : pognes de Valence, bugnes lyonnaises.

Pour un banquet seigneurial, tous les services sont proposés et servis en abondance, de sorte que chaque convive y trouve son content de gras, de goût et d’exotisme :

-1e service : olives confites à la valencienne, cuisines en potages, fruits rostis, et vins de provenance cotée, beaujolais ou coteau du lyonnais.
-2e service : viandes en leur graisses (pormoners, godiveaux, diots), cervelas de Lyon, saucisson lyonnais, gratons taillés en mottes ou en frites, chastaignes aux épice et graisses de fonte.
-3e service : tuile d’écrevisse, pastes au bouillon gras (ravioles, crozets, taillerins), polenta d’accompagnement, carpe de la Dombe enfeuillées, ou carpe de la Dombe en trois manières (en sauce, en eau et en graisse), plusieurs chevreau dont les croustillants seront disposés au seigneur.
-Desserte : fromages de région (bleu de Gex, Vachelin, St-Marcelin, St-Félicien, produits de l’abbaye d’Abondance) en graisse ou en plateau, fruits, noix pilés agrémentées de cervelle de canut, légumes en cru.
-Issue de table : nougats importés de la côte méditerranéenne, suisse de Valence, pognes et bugnes à la graisse de viandes, ou aux huiles d’olive et de noix.
-Boute-hors : vins liquoreux du cru lyonnais, agréments spiritueux, épices exotiques ou de la région accompagnant restes de la desserte ou miches et graisses.


III / Des recettes du Dauphiné-Lyonnais :

Tuile d’écrevisses :

Prenez des écrevisses cuites et ôtez-en la chair de la queue et broyez très longuement le reste, à savoir la carapace et ce qu'elle contient encore. Prenez ensuite des amandes sans les peler; elles doivent être triées et lavées dans de l'eau chaude comme pour des pois. Puis il faut les broyer entières avec ce qu'on vient de broyer d'abord; ajouter en plus de la mie de pain séchée sur la braise. Maintenant vous devez faire cuire dans l'eau salée et du vin des chapons, des poussins et des poules découpés tout crus par quartiers, ou du veau coupé en morceaux. C'est dans cette eau de cuisson que vous devrez faire tremper et délayer ce que vous venez de broyer; passez ensuite à l'étamine, broyez de nouveau ce qui reste dans l'étamine, passez et ajoutez-le. Puis faites bouillir le tout avec de la cannelle, des clous de girofle et du poivre long, délayés dans du verjus sans vinaigre. Maintenant la partie solide de votre potage doit être cuite dans de la graisse de porc par morceaux ou quartiers; dressez-les dans les écuelles et versez le liquide du potage par-dessus. Puis mettez dans chaque écuelle sur le potage 4 ou 5 queues d'écrevisse, puis saupoudrez de sucre.

Saucisses en potage :

Prenez les saucisses, & les fricassez en beurre, puis prenez quatre ou cinq pommes pelées & coupées par petits quartiers, & quatre ou cinq oignons coupez par rondes tranches, & les fricassez en beurre, & les mettez tout dedans un pot avec les saucisses, & mettez dedans noix muscade, cannelle, avec vin blanc ou rouge, du sucre, & faites ainsi esteuuer.

(Saucisses en potage :

Prenez les saucisses et faites-les revenir au beurre, puis prenez quatre ou cinq pommes pelées et coupées en petits quartiers, et quatre ou cinq oignons coupés en tranches rondes, et faites-les revenir au beurre. Mettez le tout dans un pot avec les saucisses, de la noix de muscade, de la cannelle, du vin blanc ou rouge, du sucre, et faites cuire à l'étouffée.)

Crépin (à servir le jour de crespillon, accompagné des viandes Lyonnais-Dauphinoises) :

Prenez de la fleur de farine et détrempez-la d’oeufs, tant moyeux comme aubuns. Otez le germe et mettez-y sel et du vin et battez longuement ensemble, puis mettez du saindoux sur le feu, en une petite poëlle de fer, ou moitié saindoux ou moitié beurre frais et faites fremier (frire).
Et adonc aïez une escuelle, percée d’un pertuis gros comme petit doigt, et adonc mettez de cette bouillie dedans l’escuelle, en commençant au milieu, et laissez filer tout autour de la paëlle. Faites-la cuire, sauter et retourner. Puis mettez en un plat et de la poudre de sucre dessus. Et que la paëlle dessusdite de fer ou d’airain tienne trois chopines et ait le bord demy doigt de hault et soit aussi large au-dessus comme en bas, ne plus ne moins et pour cause.

Et pour petites crespes, convient battre moyeulx et aubuns d’oef et de la fleur parmy, qu’elle soit un peu plus troussant que celle des grandes crespes et qu’on ait petit feu tant que le feu soit chaud et avoir son escuelle de bois percée au fond et y mestre de la paste. Et puis quand tout est prest, couler ou faire en manière d’une petite boucle, ou plus grande et au travers de la boucle, une manière d’ardillon…


IV / Index des spécialité du Lyonnais ainsi que du Dauphiné :

L’Abondance ainsi que le vacherin d’Abondance sont produits dans l’abbaye d’Abondance.

Le Bleu de Gex est un fromage produit dans le Lyonnais en petites quantités. Ce fromage bleu est raffiné mais peu commun, il ravira les bouches des connaisseurs mais ne sera disponible que sur les meilleures tables.

La Bugne lyonnaise, aussi couramment appelée Beignet, est une pâte frite principalement consommée en février et pour mardi gras.

La Carpe de la Dombe.

Le Cervelas de Lyon est une grosse saucisse courte, faite de chair à saucisse plus ou moins entrelardée, parfois fumée, (gras de gorge de viande de porc, viande rouge, poitrine fraîche), relevée de poivre ou d'ail. Il se consomme cuit ou cru.
On y ajoute aussi de la cervelle, d’où son nom de cervelas. Préparé avec de la viande de porc, composée de deux tiers de maigre et un tiers de gras, le charcutier glisse de fines lamelles de truffes entre les boyaux et la farce aux pistaches (qui est souvent parfumée au porto ou au madère), puis ajoute des aromates et des épices. C’est un produit de luxe, fabriqué presque exclusivement au moment des fêtes ou sur commande pour les banquets.

La Cervelle de Canut (ou Tomme Blanche, ou Caillé, ou Fromage Blanc Frais) est un fromage frais très peu égoutté, communément appelé caillebotte jonchée, qu’on sert immanquablement lors de tout banquet Lyonnais qui se respecte. Le fromage blanc est souvent consommé mélangé avec des herbes aromatiques et des oignons. La composition exacte de la cervelle de canut varie, mais souvent elle comprend du fromage, du cerfeuil, de la ciboule, des échalotes, des oignons, de l’ail, du vinaigre ainsi que de l’huile.

La Châtaigne n’est que peu récoltée à notre époque, pourtant de belles forêts s’étendents dans le Duché du Lyonnais-Dauphiné, et la saveur de cette noix est reconnue de tous.

Le Chevreau rosti est un plat réputé dans notre région, son élevage est répandu afin de fournir les banquets qui réclament moult viandes.

Le Coteau du Lyonnais est un cru joyeux qui descend de ses coteaux pour animer les fêtes populaires. Ce vin est servit dans le fameux « pot de ville » ou « pot de Lyon » dont la contenance est fixée à un litre.

Les Crozets et les Taillerins sont des spécialités savoyardes aussi couramment répandue dans la région du Dauphiné-Lyonnais. Le crozet est une petite pâte carrée de faible épaisseur à la farine de blé ou de sarrasin. Le taillerin est une nouille aromatisée aux champignons ou aux myrtilles, bien que d’autres goûts aient pu faire leur apparition selon les saisons et les saverus préférées de chacun.

L’Ecrevisse.

Les Godiveaux sont des saucisses à base de maigre et gras de porc, de poivre, d’épices, de salpêtre, d’ail, de vin blanc, de rhum dans un boyau de mouton, le tout bien salé.
On peut aussi en façonner des quenelles servies chaudes ou employées pour garnir mets divers ou accompagner des viandes. Fabriqués dans le Dauphiné, ils sont parfois comparés aux diots originaires de Savoie.

Le Graton est un produit issu de la fonte des gras de porc, avec des morceaux plus gros et plus fermes que les rillettes. Spécialité lyonnaise, le graton est préparé à partir de cubes de gras dur que l'on fait fondre et de tranches de viande maigre, mélangés en quantités égale.La cuisson totale dure heures environ.
Le mélange est ensuite égoutté et moulé en grosses mottes de 12 à 20 kg. On le retrouve sous des formes variées, froid, en entrée, mais surtout en casse-croûte avec du pain.

La Noix de Grenoble est récoltée abondamment et diffusée dans tout le Dauphiné. Elle est utilisée afin de produire une huile très goûteuse utilisée fréquemment dans les banquets les plus somptueux. Elle peut aussi être consommée séchée, sa saveur en est ainsi développée et le palais du gourmet peut garder plusieurs heures le goût d’une seule noix mangée dans un instant d’oubli.

L’Olive est un fruit produit par l’olivier, arbre abondamment présent depuis le XIVème siècle. Consommée sous forme d’huile, on la trouve aussi confite à Grenoble, faisant d’elle un met délicat et agréable à la bouche. Les oliveraies sont de nos jours un endroit où souvent les vagabonds œuvrent afin de cueillir les précieux fruits.

L’Omble Chevalier.

La Poire.

La Pogne de Valence est une brioche en forme de couronne, aromatisée à l’eau de fleur d’oranger. Le mot pogne (pogna, pogni, pougnon) désigne en franco-provençal une gourmandise à base de pâte à pain agrémentée d’œufs, de beurre, ainsi que de sucre. Toute la région est influencée par la saveur de cette viennoiserie, et on en retrouve parfois même jusqu’en Savoie.

La Polenta n’est pas une spécificité régionale, mais on peut difficilement se passer de citer un exemple des entreprises culinaires les plus courantes à notre époque. Fabriquée avec de l’orge, ce plat est représentatif d’une bouillie plus ou moins agrémentée qu’on retrouve dans toutes les chaumières.

Le Pormonier est une délicieuse saucisse savoyardo-dauphinoise composée de lard maigre, de chou, d'herbes et feuilles de blette (ceci étant, contrairement à son cousin, j'ai nommé le diot). Appelés aussi saucisses aux herbes, ils sont souvent fabriqués à base de poumons de porc et de verdure blanchie et hachée : choux, épinards, blettes ou poireaux. Après avoir empâté ou mélangé les ingrédients, on passe le tout dans un boyau afin d’en faire une saucisse. Les petits boyaux ainsi constitués sont fumés au feu de bois pendant trois ou quatre jours. Les saucisses prennent alors une couleur marron, et on peut les déguster cuites à la vapeur ou servies avec une soupe de légumes, ou encore frites en leur graisse.

La Raviole est un petit carré de pâte fourré au fromage ainsi qu’aux herbes aromatiques. Répandue à travers le duché du Lyonnais-Dauphiné, il en existe plusieurs variantes telle que la version sans viande citée ci-dessus, pour les jours maigres, et d’autres fourrées plus abondamment lorsque la gourmandise prend le pas sur le besoin, aboutissant parfois à d’étranges créations comportant tout ce qu’un cuisinier peut trouver dans l’étal du marché.

Le Saint-Marcellin est un petit fromage à pâte molle, à croûte fleurie, constitué en majorité de lait de chèvre qu’on trouve en abondance dans notre région. En Dauphiné le saint-marcellin se déguste généralement sec à la manière du picodon. Mais cet usage tend progressivement à disparaître au profit de l'usage lyonnais où il se déguste avec une salade et des croûtons frottés à l'ail, mais développe toute sa personnalité en plateau quand il est coulant sous une croûte bleue.

Le Saint-Félicien est un parent du Saint-Marcellin originaire du sud de la région lyonnaise, en plus doux et plus crémeux.

Le Saucisson de Lyon est un saucisson pur porc de couleur rouge foncé, à base de jambon, d’épaule, de gras de bardière, d’aromates et d’ail. Les viandes qui entrent dans sa composition sont sélectionnées avec soin et les morceaux parfaitement travaillés afin d’obtenir une pâte homogène. Il se caractérise par sa pâte très fine et, à la coupe, par ses petits lardons qui se détachent bien. Produit renommé et coûteux, il nécessite un savoir-faire particulier, et ses secrets de fabrication restent bien gardés par les artisans charcutiers qui délivrent au compte-goutte ce chef-d’œuvre culinaire de notre région.

Le Suisse de Valence se présente sous forme de bonhomme, il est le pendant du Saint-Nicolas alsacien. Elaboré à partir d’une pâte sablée, il est revêtu d’un costume de garde suisse en papier. Les plus habiles pâtissiers réalisent ce costume avec une pâte brisée décorée d’écorces d’orange confite. C’est le gâteau traditionnel des Rameaux et de Pâques.

La Truffe.

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Sources :
- http://www.oldcook.com/index.htm ;
- http://www.crapaudine.com/Tip18Library.asp ;
- REDON Odile, SABBAN Françoise, SERVENTI Silvano,
La Gastronomie au Moyen Âge. 150 recettes de France et d'Italie ;
- HENISCH Bridget A., Fast and Feast. Food in Medieval Society ;
- SCULLY Terence, The Art of Cookery in the Middle Ages